Les vins des Cinque Terre

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.
Les vins des Cinque Terre sont l’un des patrimoines les plus authentiques de cette région iconique d’Italie. Nichés entre mer et montagnes, les vignobles en restanques façonnent un paysage unique, reflet d’un savoir-faire ancestral. Ce terroir escarpé donne naissance à des vins blancs secs et à l’illustre Sciacchetrà, un vin doux rare et recherché. Peu connus du grand public, ces vins méritent une attention particulière tant pour leur qualité que pour leur histoire. Découvrez dans cet article tout ce qu’il faut savoir sur les vins des Cinque Terre.

Un vignoble suspendu au-dessus de la mer

Dans les Cinque Terre, la vigne grimpe, serpente, s’adapte. Ici, sur cette bande de terre entre ciel et mer, les vignes ne sont pas alignées en douceur sur des plaines dociles, mais suspendues à des terrasses étroites, construites pierre par pierre. Ces murs de pierres sèches, que l’on appelle localement muretti a secco, s’étendent sur des kilomètres comme une dentelle accrochée à la montagne. Ils retiennent la terre, le savoir-faire et une identité profondément enracinée.

Chaque grappe cultivée sur ces pentes abruptes est le fruit d’un combat. Contre le vent salin, contre l’érosion, contre l’exode rural. Le vignoble des Cinque Terre est microscopique à l’échelle du monde, à peine une centaine d’hectares au total, mais il condense une intensité rare. Les cépages autochtones — Bosco, Albarola, Vermentino — y sont cultivés à la main, parfois transportés sur les épaules ou grâce à de petits monorails fixés aux falaises. Rien n’est mécanisable ici. Tout est artisanal.

Un sol qui forge le style des vins

Le sol schisteux et aride, mêlé à l’exposition directe au soleil et aux embruns, offre aux raisins une maturité rapide, mais contrôlée. L’influence de la mer est omniprésente : elle façonne l’acidité, elle affine la structure, elle salinité la finale. C’est un terroir extrême, mais généreux avec ceux qui savent l’écouter. Et les vins des Cinque Terre portent cette signature, tendue, droite, lumineuse.

Une culture façonnée par la verticalité

Rien ne se fait ici comme ailleurs. On ne parle pas de rendements, on parle d’accès. Il faut parfois trente minutes à pied pour atteindre une parcelle. Le vignoble est morcelé, presque fractal. On n’y trouve pas de grandes exploitations, mais des micro-domaines familiaux, des vignerons obstinés, et une poignée de jeunes passionnés venus restaurer des terrasses laissées à l’abandon.

La diversité viticole des Cinque Terre

Le Sciacchetrà est sans doute le plus connu des vins des Cinque Terre, et à juste titre. Ce vin liquoreux rare, obtenu à partir de raisins séchés pendant plusieurs semaines, incarne une tradition séculaire. Mais il serait réducteur de limiter la production locale à cette seule expression, aussi noble soit-elle. Le cœur battant de la viticulture ligure réside dans ses vins blancs secs, élégants, iodés, d’une fraîcheur saisissante.

Le Cinque Terre DOC : un blanc sec racé et identitaire

L’appellation DOC Cinque Terre encadre la production des vins blancs secs élaborés à partir de l’assemblage traditionnel de Bosco (au minimum 40 %), Albarola et Vermentino. Ces vins se distinguent par leur robe pâle aux reflets dorés, leur nez délicat de fleurs blanches, de zestes de citron, et de fines herbes. En bouche, ils révèlent un équilibre entre vivacité et structure, et une finale nette, souvent saline, comme un rappel de la mer toute proche.

Chaque village — Monterosso, Vernazza, Corniglia, Manarola, Riomaggiore — apporte une nuance. À Manarola, certaines micro-parcelles comme Costa de Sera ou Costa da Posa donnent naissance à des cuvées parcellaires uniques, vinifiées à part pour exprimer la singularité de chaque coteau.

Le Sciacchetrà : vin sacré, rare et presque mythique

Le Sciacchetrà, issu des mêmes cépages que le blanc sec, demande une rigueur extrême. Après la vendange, les raisins sont suspendus ou étalés sur des claies à l’air libre pour se concentrer naturellement. Le pressurage n’a lieu qu’au bout de 40 à 60 jours. S’ensuit une fermentation lente et un élevage long, souvent en fûts. Le résultat est un vin ambré, profond, dont les arômes évoquent les fruits secs, la figue confite, le miel, avec une acidité structurante qui évite toute lourdeur.

Très peu de bouteilles sont produites chaque année, et la plupart sont réservées aux connaisseurs, aux restaurants gastronomiques ou… aux fêtes religieuses locales. Boire un Sciacchetrà, c’est entrer dans un cercle restreint.

Une renaissance par la diversité : nouvelles approches et expérimentations

Si le cadre législatif de la DOC est bien défini, de nombreux producteurs choisissent aujourd’hui de s’en affranchir pour explorer d’autres pistes. Sous l’appellation IGT Liguria di Levante ou sans appellation du tout, ils redéfinissent ce que peut être un vin des Cinque Terre au XXIe siècle.

Macérations, rouges et pétillants confidentiels

Dans certaines caves, on expérimente la vinification en amphores, les macérations longues qui donnent naissance à des blancs de contact, parfois appelés “orange wines”. Ces vins se caractérisent par une texture tannique, une couleur profonde et un profil aromatique déroutant mais passionnant. D’autres vignerons osent produire de petites quantités de rouges à partir de cépages comme le Canaiolo ou l’Alicante, souvent plantés sur les restanques supérieures, là où le soleil « cogne » fort.

Quelques essais plus rares encore donnent naissance à des pétillants naturels, en méthode ancestrale. Peu exportés, ils sont parfois disponibles uniquement dans les bars à vin locaux ou sur réservation privée.

Le retour aux parcelles oubliées

Ce renouveau viticole passe aussi par la réhabilitation de vignobles laissés à l’abandon. Ces terrasses redécouvertes sont souvent travaillées à la main, dans une logique de conservation du paysage autant que de production. Certains jeunes vignerons venus d’autres régions d’Italie ou même de l’étranger viennent s’installer ici avec une volonté claire : produire peu, mais juste. Leur approche est souvent plus libre, parfois plus expérimentale, mais toujours ancrée dans un profond respect du lieu.

Les vins des Cinque Terre dans la vie locale

Dans les Cinque Terre, le vin ne se vend pas seulement. Il se transmet. Il accompagne la vie des villages, les fêtes, les repas de famille, les processions religieuses. Il est l’un des derniers liens tangibles entre l’homme et sa terre.

Le Sciacchetrà, par exemple, n’est pas toujours destiné au commerce. Il est gardé précieusement, offert aux mariages, ouvert lors d’un baptême ou à Noël. C’est un vin de lien, de mémoire. Même le Cinque Terre DOC, plus accessible, est souvent servi avec fierté dans les petites trattorias, où chaque bouteille porte le nom d’un cousin, d’un voisin ou d’un ami.

Transmission : goûter pour comprendre les vins des Cinque Terre

Aujourd’hui, certains domaines ouvrent leurs portes aux visiteurs curieux. Il ne s’agit pas de dégustations standardisées, mais de moments vrais. Un banc au bord d’une terrasse, un verre versé par la main qui a taillé la vigne, une discussion sur la pluie, le vent, les vendanges. Dans une région où la viticulture relève de la survie poétique, ces instants partagés sont souvent les plus riches.

À Manarola, Vernazza ou Riomaggiore, quelques enotecas permettent de découvrir les différentes expressions locales. Mais c’est parfois sur un sentier, à l’improviste, qu’on fait les plus belles découvertes : un producteur qui vend ses bouteilles sur le pas de sa cave, une grand-mère qui propose un Sciacchetrà maison avec un biscotto aux amandes.

Conclusion : des vins à la hauteur du paysage

Les vins des Cinque Terre sont à l’image de leur territoire : difficiles, exigeants, mais d’une beauté pure. Il ne cherche pas la perfection technique, mais l’émotion. Il est le résultat de milliers d’heures de travail invisible, de gestes ancestraux et de décisions humaines, souvent prises loin du confort.

Dans un monde de standardisation et de grands volumes, il est rare, fragile, précieux. Il se mérite, comme un sentier de randonnée au lever du soleil, comme une crique qu’on découvre après une heure de marche, comme une gorgée de blanc sec après une journée d’été.

Boire des vins des Cinque Terre, c’est boire une portion de paysage, une ligne d’horizon entre la mer et le ciel. C’est accepter de ralentir, de ressentir, de s’ancrer. Et peut-être, sûrement, de revenir.